GUILLAUME BRESSON A VERSAILLES | CRASH Magazine
ART

GUILLAUME BRESSON A VERSAILLES

By Alain Berland

C’est  une audacieuse rétrospective que nous propose Guillaume Bresson au Château de Versailles. Le peintre bouscule les conventions en exposant ses œuvres aux côtés des immenses toiles d’Horace Vernet. Cette rencontre inattendue entre passé colonial et présent artistique ouvre un dialogue percutant sur la violence de l’histoire et la représentation des invisibles. Un entretien dans lequel Guillaume Bresson dévoile les défis de cette exposition, sa volonté de réinterpréter des styles et l’influence des penseurs contemporains comme Edouard Louis et Didier Eribon.

 

Alain Berland : Tu as un peu plus de 40 ans et c’est ta première rétrospective officielle. Comment as-tu ressenti la proposition inattendue d’exposer dans un lieu aussi prestigieux que le Château de Versailles ?

Guillaume Bresson : Cela a été une très belle surprise car je n’avais jamais eu de proposition d’exposition solo de la part d’une institution publique : que ce soit, un centre d’art, un Frac, un musée, etc. Alors évidemment, Versailles, cela faisait beaucoup. J’ai d’abord pensé que ce serait une simple exposition puis c’est devenue une rétrospective.

 

AB : Savais-tu que tu allais exposer dans les salles d’Afrique, dans les salles des grandes scènes de batailles des conquêtes coloniales ?

GB : Non, j’avais tout d’abord pensé être invité dans des salles à l’esprit baroque qui sont plus proches de mes centres d’intérêts. Mais le président du Château de Versailles, Christophe Leribault, a souhaité m’exposer dans les immenses salles où sont les très grandes peintures d’Horace Vernet. Et là, il m’a fallu répondre et me confronter à la grande peinture d’histoire d’un peintre pleinement académique au service du pouvoir de son époque qui peignait des œuvres à la gloire du colonialisme.

J’ai découvert des salles que je ne connaissais pas et qui sont celles qui accueillent généralement les expositions temporaires. Les peintures y sont habituellement occultées, mais depuis 2023 elles sont mises à découvert.

 

AB : Pour un artiste et son commissaire d’aujourd’hui, habitués au white cube, cela semble une gageure d’exposer dans un tel lieu où chaque mur est recouvert par d’immenses toiles figuratives. Comment as-tu opéré pour que tes oeuvres puissent cohabiter avec l’existant ?

GB : J’ai commencé à regarder plus précisément les toiles et j’ai été interpellé par la violence des événements qui y est représentée, ce qui relativise de beaucoup la violence de mes propres représentations. Donc, il y avait deux questions, comment accrocher sur des murs où il n’y a pas d’espace libre et comment dialoguer avec les situations colonialistes exposées.

Nous avons alors réfléchi avec Christophe Leribault et Antoine Fontaine qui est le scénographe de l’exposition. Il a d’abord été question de mettre des structures légères à la manière de l’architecte et scénographe Lina Bo Bardi. Puis j’ai proposé une structure pour imiter le béton des parkings. Il y a eu différentes propositions de hauteurs de cimaises et de parois puis on a abouti à ce dispositif beaucoup plus léger. Il est composé de supports très bas qui semblent recouverts de ciment. Ils permettent de voir les Horace Vernet, mais aussi d’ accueillir en tant que cimaise toute la série de mes tableaux sur les violences urbaines. Toutes les peintures entrent ainsi en relation et on peut voir mes représentations des descendants des colonisés se confronter à celles de la colonisation, peintes au 19 ème siècle, un peu comme une sorte d’arbre généalogique pictural.

 

AB : C’est une excellente manière de réaliser un devoir d’inventaire de la peinture alors que le premier réflexe aurait pu être d’occulter, d’une manière ou d’une autre, les œuvres d’Horace Vernet.

GB : Oui, je voulais que tout cela soit visible et que grâce à notre regard d’aujourd’hui, ce qui était de la peinture d’histoire puisse apparaître comme une peinture décomplexée au service du roi Louis-Philippe qui l’avait commandée. Ce dispositif me permet de situer mes propres œuvres dans une perspective historique.

 

AB : Tu es un peintre qui produit peu d’oeuvres. Tu aimes prendre ton temps et expérimenter. Il y a plus d’une trentaine de peintures dans l’exposition, est-ce que cela représente l’intégralité de ton œuvre ?

GB : Oui, il y a presque toute mon œuvre. Dans les grands formats, il y quasiment tout, sauf quelques prêts qui ont été refusés. Mais le musée de Grenoble et son directeur Sébastien Gokalp  accueilleront à partir de juin 2025 cette exposition qui sera encore un peu plus complète grâce à la complicité d’autres prêteurs.

 

AB : Edouard Louis était présent à ton vernissage, est-ce que sa pensée et celle de Didier Eribon comptent toujours pour toi et t’aide à structurer le processus d’émancipation qui est au cœur de ton œuvre ?

GB : Oui, cela m’aide beaucoup a évacué le jugement social qui a longtemps fait que ma peinture était déconsidérée parce qu’elle était jugée trop classique, pas assez moderne. On m’a longtemps ostracisé et certains s’intéressaient à mes peintures pour de mauvaises raisons, parce qu’il la pensait réactionnaire ou naïve. Aujourd’hui, je peux assumer cette forme de peinture et je suis fière de faire entrer les représentations des jeunes des cités avec un style classique, celui qu’utilise les puissants pour se représenter pour leur gloire et leur propagande. Et cela de la royauté aux régimes autoritaires. C’est une peinture sophistiquée qui parle facilement aux peuples et elle était aussi utilisée pour cela. En m’inspirant de celle-ci pour représenter ceux qui ne sont jamais représentés, je reprends les formes classiques que j’actualise. Et c’est là où la pensée d’Edouard Louis et de Didier Eribon me sera toujours et encore utile.

 

Alain Berland

 Portrait de Guillaume Bresson par T. Garnier

Vues de l’exposition par D. Saulnier

 

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